Bienvenue en 2007 ! Après une période d’essor puis de déclin, les deux jeux vidéo musicaux occidentaux phares que sont Guitar Hero et Rock Band préparent leur retour imminent, sur fond de guerre ouverte, au mois d’octobre.
À ma gauche, nous avons Guitar Hero Live, développé par FreeStyleGames (à qui l’on doit déjà les spin-offs DJ Hero) et publié par Activision, prévu pour le 20 octobre 2015. À ma droite, Rock Band 4, développé et publié par Harmonix, avec le soutien de Mad Catz pour la distribution et la production des accessoires, pour une sortie le 6 octobre 2015. Après des années d’absence, on se dirige donc vers une nouvelle opposition frontale…
Lutte fratricide
Pour comprendre cette guerre éternelle entre les deux franchises, il faut remonter un peu le temps. À l’origine de chacune des deux licences, on retrouve le même studio : Harmonix. C’est à lui que l’on doit le concept initial de Guitar Hero (publié d’abord par RedOctane, puis par Activision après rachat), lui-même fortement inspiré des jeux de rythme japonais de Bemani, en particulier GuitarFreaks.
Quelques titres plus tard, Harmonix et Activision se séparent d’un commun désaccord. L’éditeur conserve les droits sur la marque Guitar Hero, tandis qu’Harmonix planche déjà sur sa riposte : Rock Band, une série quasiment en tous points identique, reprenant la formule des guitares en plastique à cinq boutons… tout en venant y greffer la notion de groupe avec l’ajout de la batterie et du chant. Il le publie dès 2007 aux USA, avec le soutien d’EA et de MTV Games (Viacom).
Malgré son côté pionnier, Rock Band ne parviendra jamais à rencontrer le même succès commercial que Guitar Hero. Entretemps, Activision a confié le développement de la licence à Neversoft (connus pour la série des Tony Hawk Pro Skater) qui réalisera Guitar Hero III: Legends of Rock, un carton qui reste à l’heure actuelle le plus gros succès de la série et une des plus grandes réussites de l’histoire du jeu vidéo tout court. Ce seul jeu, et ses accessoires, auront permis à Activision d’engranger la somme de 830 millions de dollars (chiffres NPD), un record !
La suite est plus connue : porté par ce succès, Activision déclinera la licence GH à toutes les sauces, introduisant à son tour le chant et la batterie dans le quatrième opus (Guitar Hero World Tour, sorti en 2008), multipliant les sorties de spin-offs et d’épisodes secondaires (jusqu’à quatre jeux en une seule année). Le marché est inondé, les joueurs se lassent et chaque épisode se vend moins bien que le précédent — jusqu’à Guitar Hero: Warriors of Rock, le sixième opus principal, sorti en 2010, qui enregistrera des ventes abyssales et signera la fin officielle de la franchise musicale d’Activision.
De son côté, Harmonix a une vision bien différente du marché. Après un Rock Band 2 sans grandes nouveautés, sorti à peine un an après le premier volet, le développeur prend le temps de réfléchir aux suites à donner à sa saga. Seul les spin-off The Beatles: Rock Band et LEGO: Rock Band (volontairement distincts de la série principale) verront le jour en 2009 ; et en 2010, naîtra Rock Band 3, pionnier à bien des égards.
Une plateforme musicale à part entière
Dès le premier Rock Band, Harmonix se distingue d’Activision en proposant de nombreux DLC, mis à jour chaque semaine. Là où Activision ne propose généralement qu’une poignée de packs de DLC, différents pour chaque épisode, Harmonix propose dès 2007 des DLC compatibles à la fois avec RB et RB2.
Avec Rock Band 3, l’intention du développeur est donc claire : Rock Band doit devenir une plateforme, une sorte d’iTunes du jeu musical. La playlist initialement contenue sur la galette du jeu n’a qu’une importance finalement toute relative ; ce qui compte, c’est que le joueur soit en mesure de choisir et d’acheter les morceaux de ses artistes préférés, parmi un large catalogue en ligne. Il est également possible d’exporter sur disque dur les morceaux des disques de tous les précédents volets (à l’exception du spin-off The Beatles: Rock Band) pour en bénéficier dans RB3.
Au total, et alors que la presse grand public titrait déjà allègrement sur la « mort des jeux musicaux » en 2010, Harmonix continuera à publier chaque semaine des DLC pour son jeu de 2007 jusqu’en mars 2013, soit pendant 281 semaines consécutives. De quoi proposer aux joueurs un catalogue de plus de 4000 morceaux.
La stratégie se révèlera payante. Plutôt que de noyer le marché de jeux, elle permet au joueur d’acheter un seul disque puis de sélectionner les pistes de son choix en ligne. Au total, si ses jeux n’auront jamais brillé par leurs chiffres de vente en magasins, Harmonix aura vendu plus de 130 millions de DLC sur Xbox 360, PlayStation 3 et Wii. De quoi lui permettre de s’assurer une indépendance financière, et prononcer le divorce avec EA et MTV Games peu de temps après la sortie de Rock Band 3, pour poursuivre ses activités en tant que développeur indépendant.
Deux stratégies toujours opposées
Retour en 2015. Guitar Hero Live et Rock Band 4 sont sur les rails, chacun avec leur lot de nouveautés. Mais stratégiquement, ils servent des intérêts diamétralement différents… qu’il est facile d’analyser à la lecture de l’historique des deux séries.
D’un côté, avec Guitar Hero Live, Activision introduit un gros changement de gameplay : la formule classique à cinq boutons colorés disparaît. Désormais, les guitares sont équipées de six boutons, disposés sur deux rangées (trois en haut, trois en bas). Cette disposition n’est pas sans évoquer GuitarFreaks, dans lequel on ne joue effectivement qu’avec trois boutons. Rien de très surprenant de la part du nouveau développeur, FreeStyleGames, qui n’a jamais caché ses fortes inspirations du côté de la gamme Bemani — DJ Hero était lui-même une version « revue et corrigée » de la formule Beatmania.
Activision n’a pas oublié que le succès des premiers Guitar Hero venait essentiellement de la vente d’accessoires. Le passage à une nouvelle génération de consoles est donc l’occasion de relancer la franchise en vendant de nouvelles guitares en plastique, fondamentalement incompatibles avec les anciens épisodes.
De l’autre côté, Rock Band 4 ne change rien à la formule classique initiée dès le premier volet. Cinq boutons colorés pour la guitare et la basse, quatre pads (et trois cymbales en mode pro) pour la batterie, et un micro… on est en terrain connu. Ce qui, contre toute attente, est un argument de vente : les joueurs pourront réutiliser leurs anciens instruments sans fil, qui restent compatibles (nativement sur PS4, et moyennant l’achat d’un dongle nécessaire sur Xbox One). Même les DLC précédemment achetés pourront être retéléchargés sans surcoût : le conséquent catalogue d’anciens titres sera réinjecté dans RB4, non pas dès sa sortie, mais progressivement chaque semaine.
En termes de gameplay, la seule grosse nouveauté consiste en un mode « freestyle » pour les solos de guitare, qui permet de s’improviser guitariste en jouant des solos 100% personnels. Le fun avant le scoring, donc.
Là encore, Harmonix démontre qu’il ne s’intéresse pas tant à la vente d’accessoires qu’à celle de ses DLC. Le développeur a d’ailleurs annoncé que Rock Band 4 était pensé comme une plateforme évolutive. En d’autres termes, il devrait s’agir du seul jeu Rock Band de cette génération, et de nouvelles fonctionnalités y seront greffées par le biais de mises à jour régulières. On retrouve la philosophie introduite avec Rock Band 3.
Le sens des priorités
Cette relance simultanée des grosses licences musicales n’est toutefois pas sans sacrifices, des deux côtés.
Pour Guitar Hero Live, le jeu abandonne ses velléités multijoueur : exit la batterie, la notion même de groupe… On a droit à un jeu qui se concentre sur une expérience guitare purement solo.
Côté Rock Band 4, les joueurs devront dire au revoir à la plupart des nouveautés introduites dans Rock Band 3. La guitare « pro » (qui permettait de jouer « comme en vrai » avec toutes les frettes d’une guitare) disparaît, tout comme le clavier. Le jeu n’aura même pas de mode online à sa sortie, les développeurs s’étant concentrés sur l’expérience multijoueur en local dans un premier temps.
Ici, la course au premier arrivé sur le marché se fait au détriment des joueurs. Pour être compétitifs et prêts dès le mois d’octobre, les développeurs doivent opérer des choix qui trahissent leurs intentions. Guitar Hero Live mise sur le « réalisme » de l’expérience, la chasse au scoring, la performance du joueur en solo. Rock Band 4 se penche plus sur l’aspect « party game » que revêt un tel jeu en multijoueur local, avec jusqu’à six joueurs en simultané dans la même pièce (guitare, basse, batterie, et trois micros).
Ces intentions se traduisent jusque dans les setlists des jeux. Guitar Hero Live se concentre sur le rock classique, le hard rock voire le metal avec beaucoup de standards de la guitare (The Rolling Stones, Rage Against the Machine…), et pas mal de morceaux « indie » plus récents (Alt-J, Angus and Julia Stone…). Rock Band 4 dispose d’une playlist plus éclectique, puisant plus généreusement dans le pop rock, voire les tubes grand public comme Uptown Funk.
Finalement… vers de nouveaux modèles de vente ?
Avec Guitar Hero Live, Activision a introduit une idée intéressante, quoi qu’un peu étrange. Le jeu inclura un mode « GHTV » dans lequel le joueur pourra choisir un thème (type de musique par exemple), tout comme il choisirait une chaîne de télévision. Chaque chaîne diffusera des clips en temps réel, auxquels il sera possible de jouer directement. Avec cette fonction, la setlist du jeu devrait être considérablement étendue, mais il ne sera pas possible de choisir de jouer au morceau de son choix à tout moment — il faudra juste avoir la chance de « tomber dessus ».
L’idée est intéressante, mais demande à être améliorée. On peut par exemple imaginer un système d’abonnement où l’éditeur proposerait un accès illimité à tous les morceaux du catalogue de DLC. Imaginez un Rock Band où, pour 5 à 10 € par mois, vous disposeriez d’une setlist permanente de plus de 4000 morceaux, avec des ajouts chaque semaine. Rock Band 3 se voulait être l’iTunes des jeux vidéo musicaux ; à quand l’équivalent de Spotify désormais ?
Faute d’accord avec les ayants-droits, il est possible que cette possibilité ne voie jamais le jour. Malgré sa force de frappe, Sony n’est jamais parvenu à faire évoluer la formule de son Singstar, qui est pourtant un bel exemple de « plateforme musicale » sur consoles. La révolution viendra-t-elle de la guitare en plastique ? Vous avez jusqu’en octobre.
Salut,
Je trouve que Guitar Hero et Rock Band sont deux jeux de musique vraiment sympathiques. Je dois avouer, cependant, que j’ai une petite préférence pour Rock Band, car les playlists sont à chaque fois à la hauteur de mes attentes.