En mars dernier sortait Confidences, un format long réalisé par l’équipe d’Undropdanslamare. Principalement connus grâce à leur chaîne YouTube, sur laquelle ils publient leurs analyses « 2 minutes pour convaincre », Thomas et Rémi ont décidé d’aller interviewer sept professionnels du secteur : développeurs, game designers, journalistes, chercheurs… avec, pour fil conducteur, une vaste question : « où va le jeu vidéo ? ».
À notre tour, nous avons choisi de leur poser quelques questions sur leur démarche…
Café Gaming – Comment est venue l’idée de réaliser ce documentaire ?
Thomas Undrop – En parallèle du texte sur « internet en 2025 », nous étions en train d’écrire un [2 minutes pour convaincre] sur le jeu vidéo de demain. Habituellement, on s’évertue à proposer un angle précis et inédit sur un sujet, mais ici, au fur et à mesure qu’on creusait le sujet, le texte s’est peu à peu allongé. Il faut dire que pour une mise en contexte, il nous fallait d’une part voir s’il existait une évolution dans la sociologie du joueur. Cela nécessitait donc de définir ce qu’est un joueur. Parallèlement à cette facette sociologique s’imposa d’autre part la nécessité d’inclure une analyse sous un angle économique. De la naissance des acteurs incontournables qu’on connaît aujourd’hui à l’arrivée de nouveaux géants avec l’essor des jeux sociaux sur Facebook et surtout les free-to-play sur mobile. Et puis, finalement, la question du hardware s’imposa également. On s’est retrouvé finalement avec trois thèmes : vers quelle sociologie du joueur, vers quels nouveaux acteurs du marché, et vers quels nouveaux hardwares.
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Il était clair qu’on avait trop de matière pour un [2 minutes pour convaincre]. Mais la question « où va le jeu vidéo ? » ne nous quitta plus. Pour y répondre, nous avons d’abord pensé à un format plus long et avons donc poursuivi l’écriture. Puis, nous nous sommes amusés à penser à un format qui laisserait des professionnels répondre eux même à cette épineuse question.
Rémi Undrop – Le titre provisoire du documentaire était d’ailleurs « mais où va le jeu vidéo », transformé plus tard en « Confidences », afin de coller à cette tonalité que les intervenants nous avaient offert. Aujourd’hui le brouillon de ce [2 minutes pour convaincre] trop grand pour voir le jour est toujours sur le Drive d’Undrop, aux côtés d’une petite dizaine de textes qui sont faits, mais qui ne sortiront probablement jamais. Nous écrivons beaucoup, mais tous nos textes ne sortent pas systématiquement en vidéo. Les textes inédits que nous avons mis dans notre ebook sont une trace de ces textes non diffusés.
Le projet a nécessité du temps et de l’argent. Nous nous sommes donc dit qu’il fallait trouver un moyen de financer ce travail, afin de ne pas nous affaiblir. Car il fallait faire en sorte de pouvoir reproduire l’exercice à nouveau si besoin. Nous avons la responsabilité de réussir à pérenniser nos productions pour pouvoir continuer. On a donc comparé les différentes plateformes de VOD payante possible et Vimeo nous est apparu comme le moins gourmand, le plus transparent et avec le plus d’options de paiement. Il offrait en plus la possibilité à l’acheteur de récupérer le fichier sans DRM après achat.
CG – Comment se sont passées les préparations ? Combien de temps cela vous a-t-il pris ?
T – Il a fallu s’acheter de quoi filmer à prix raisonnable, ce qui nous a poussés vers le Canon 700D et son optique de base. Puis, au vu des mauvaises performances de la carte-son de l’appareil (quel que soit le micro branché dessus), nous nous sommes tournés vers un combo dictaphone et micro-cravate. Nous avons sollicité les professionnels au fur et à mesure. Les rencontres se sont étalées sur 4 mois. Certains n’étant pas parisiens, nous nous sommes déplacés en province. Le plus long fut le montage, 3 mois supplémentaires pour transformer 8 heures d’interviews en 1h de discours.
CG – Vous avez préféré laisser la parole aux intervenants, pourquoi ne pas avoir posé votre voix sur ce documentaire ?
R – Le sens de ce projet était d’obtenir des enseignements de la part de professionnels. C’est-à-dire écouter ce qu’ils avaient à nous partager. Il s’agissait donc de les laisser parler. Car poser une question trop précise, c’est déjà réduire le territoire de la réponse. Soucieux de prendre une posture d’écoute réelle, nous avons opté pour des entretiens semi-directifs, voire non directifs, lorsque c’était possible. Nous étions clairs dès le premier mail envoyé à nos intervenants puisque nous leur avons précisé « nous souhaitons un rendu plus « enseignement » et moins « réponses » ». Concrètement, cette méthode consiste à ne pas chercher à poser toutes nos questions, mais plutôt à s’adapter au dialogue qui se crée alors, en rebondissant sur les sujets où l’intervenant a davantage à transmettre.
CG – Comment avez-vous choisi vos intervenants ? Était-il facile de les approcher et avez-vous eu des refus ?
T – Les développeurs ont très souvent des points de vue intéressants de par leur expérience personnelle, mais n’ont pas forcément le recul que peuvent avoir d’autres professionnels du secteur. C’est pourquoi nous souhaitions avoir des intervenants de tout horizon.
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R – Nous voulions des intervenants qui ne soient pas verrouillés dans leur communication. Nous avons donc cherché des gens capables de parler en leur nom sans avoir peur d’une quelconque supervision. C’est ce qui rend à mes yeux ces interventions inestimables.
CG – Il n’y a pas dans votre documentaire de responsable marketing d’un grand éditeur, est-ce un choix ?
T – Au tout début du projet, nous avions contacté Micromania et une connaissance que nous avons chez Ubisoft. Le problème de ces grosses sociétés, c’est que la personne doit toujours demander tout un tas d’autorisations à ses supérieurs afin de pouvoir s’exprimer dans le cadre d’une interview.
R – Entre temps, j’avais assisté à une conférence au musée Carnavalet qui était animée par les historiens ayant travaillé sur Assassins Creed Unity. J’ai découvert des historiens au discours passionnant. Mais quand est venu le moment de l’intervention d’un responsable des relations presse d’Ubisoft, j’ai découvert qu’une communication corporate ne nous serait d’aucun secours. Cela a fini de nous couper l’envie d’avoir des intervenants dans la com, parlant sans discours. Mais nous restons quand même friands d’échange, jusqu’à trouver la personne qui nous donnera tort.
CG – Au niveau de la réalisation en elle-même, pourquoi avoir choisi un cadrage différent pour les intervenants ?
R – Nous nous rendions chez nos intervenants donc nous avions un cadrage lié aux conditions des lieux. Si la mise en scène ne vous parait pas très contrôlée, c’est que vous voyez juste, car elle ne l’est pas tout à fait. C’est l’histoire de deux gars qui, après le boulot, sollicitent des professionnels en quête de leurs enseignements sur le jeu vidéo.
T – Le but était de faire un documentaire en mode low budget. En tout et pour tout, il nous a coûté 2000 euros. Mis à part la musique composée tout spécialement par Julien Lelièvre et l’introduction réalisée par Arnaud Mametz (qu’on remercie tous les deux chaleureusement une nouvelle fois), tout le reste est fait maison. Cela se ressent donc un peu dans le côté amateur.
C’était une grande première pour nous, et nous avons beaucoup appris. Par exemple, si l’on renouvelle l’expérience, on réfléchira plus le cadrage.
CG – Lors de la sortie de ce documentaire, quels ont été les retours ? Avez-vous reçu des critiques notamment chez les professionnels du jeu vidéo ?
R – Les retours sur internet sont difficiles à évaluer. Si vous ne regardez que les commentaires, vous passez à côté de 96% des gens qui ont regardé votre documentaire. Si vous ne regardez que les chiffres de vues, vous passez à côté du ressenti sur le fond. On a été très touché de voir qu’une partie de notre communauté ait fait l’effort d’acheter ce documentaire. On a aussi été touché par tous ceux qui s’y sont intéressés juste parce qu’il était fait par Undropdanslamare.
S’il fallait évaluer notre production, nous dirions que la forme conserve des aspects amateurs et cela malgré nos efforts. Mais que le fond est consistant, la plupart des confidences sont inédites pour les joueurs qui ne sont pas dans le milieu.
CG – Les intervenants ont-ils eu un droit de regard avant la diffusion de votre documentaire sur Vimeo ?
T – La question ne s’est même pas posée. Nous avons eu un entretien préalable avec la plupart des intervenants durant lequel nous leur avons exposé notre projet. Nous nous étions engagés à déformer le moins possible leur message au moment du choix des plans gardés. Si certains ont pris des nouvelles de l’avancée durant le montage, personne n’a demandé à voir le documentaire avant sa diffusion publique. Ça s’est fait très naturellement au final, et les intervenants nous ont fait entièrement confiance.
R – Nous avions demandé à un avocat de rédiger un contrat que l’on faisait signer au début de chaque interview. Ce contrat nous protégeait, puisqu’il actait le droit d’utiliser leur image. Mais ce contrat les protégeait également, puisqu’il indiquait que nous ne pouvions pas utiliser leur image d’une façon qui pourrait les nuire.
CG – Quelle a été votre stratégie de communication autour du documentaire ?
T – Nous n’avons parlé du projet à personne avant sa diffusion, car nous souhaitions en faire la surprise à ceux qui soutiennent financièrement notre travail sur Tipeee. Une fois le documentaire en ligne, nous avons envoyé une quinzaine de presskit contenant des visuels, une description et un code donnant accès gratuitement au documentaire. La quasi-totalité des codes ont été activés mais peu sont les journalistes qui ont répondu. Parmi les réponses, on a eu plusieurs refus catégoriques notamment de la part de Gamekult, de jeuxvideo.com et du Monde avec comme motifs (dans le désordre) : « vous nous crachez régulièrement dessus, pourquoi on vous ferait de la pub ? », « on n’accepte pas par principe les articles sur requête » et « notre seule source d’information c’est les éditeurs eux-mêmes ».
J’en profite d’ailleurs pour remercier Guillaume Delalande qui a parlé du documentaire dans sa chronique PixLCI sur la chaine LCI, Fabio qui a écrit un article dans le Journaldugamer, Bertrand Amar pour le site NRJgames, Fougère pour Factornews ainsi que Mugi pour Gamelove et William pour le site Gamesidestory.
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[icon type= »fa fa-quote-left » fontsize= »15″] Les passionnés ne sont pas ceux qui le crient. [icon type= »fa fa-quote-right » fontsize= »15″]
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R – Les trois semaines qui ont suivi la sortie du documentaire ont changé ma perception de bien des journalistes JV. Tandis que ça newsait sur une promo Auchan et sur un pack de skin insignifiant, les questions que soulevaient les interventions de professionnels dans notre documentaire étaient occultées. En contrepartie, j’ai découvert des professionnels passionnés et parfois haut placés, qui se sont montrés intéressés et accessibles pour nous faire des retours et échanger sur les sujets abordés. Cela m’a appris que les passionnés ne sont pas ceux qui le crient.
CG – Et vous, quelles sont vos confidences pour le jeu vidéo ?
T – Globalement, je dirais que les choses vont dans le bon sens. La diversité des expériences proposées n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Même si personnellement je n’ai pas accroché à Life is Strange, je suis content qu’un tel jeu ait rencontré le succès. Cela prouve que le jeu vidéo et les joueurs ont atteint une certaine maturité. Cette maturité se retrouve également dans la façon dont on parle du jeu vidéo. Sur YouTube notamment, de plus en plus de vidéastes cherchent à questionner le média et quand on voit les audiences de chaînes comme Game Maker’s Toolkit et Extra Credits ça donne bon espoir.
R – Moi j’ai accroché à Life is Strange, parce que ce jeu “propose”. Je suis sensible aux gens et aux œuvres qui proposent. Globalement, l’offre s’étend beaucoup et les raisons de s’enthousiasmer sont de plus en plus fréquentes. Je conserve des exigences fortes, car le jeu vidéo doit progresser. Certains nous voient comme des pessimistes et opposent à notre souhait d’exigence une anti-blasitude qui se voudrait salutaire. Mais je crois l’inverse. Que c’est l’exigence qui poussera le jeu vidéo à être à la hauteur des autres arts millénaires. Avoir des attentes fortes, c’est un signe d’amour. Quand quelqu’un me dit que je l’ai déçu, je le vis comme une déclaration.
CG – On vous revoit quand sur YouTube à part sur Gamelove ?
T – Notre chronique Free2pay pour le site Gamelove reprend à la rentrée. Sinon on continue les [2 minutes pour convaincre] sur notre chaîne perso. En dehors de YouTube, pour nos amis helvétiques qui liront cette interview, nous serons au festival GamesFest à Martigny du 5 au 6 nov. 2016, qui nous a laissé carte blanche pour la préparation et l’animation d’une conférence.
R – Ha ha, un [2 minutes pour convaincre], ça peut tomber à n’importe quel moment. Merci pour l’intérêt que vous nous portez au travers de vos questions. À bientôt !
— Entretien réalisé par Maikigeeky
— Relecture et mise en forme par Yoann Ferret
— Pour soutenir Undrop, n’hésitez pas à visiter leur page sur Tipeee !
Je suis étonné que Gamekult n’ai pas voulu parler de votre documentaire. Ça va clairement dans le sens de leur démarche pourtant.
Quant à jeuxvideo.com, je ne pense pas qu’une news vous rapporte quelque vente que ce soit. C’est clairement pas le même public.
En tout cas moi je l’ai beaucoup aimé. Et du coup grâce à vous deux je découvre Café Gaming. Encore une fois merci pour votre travail.