Rock Band. Voilà un nom qui évoque, pour certains, la casualisation galopante et dangereuse du jeu vidéo. Pour d’autres, il ne s’agit que d’un obscur concurrent de la saga Guitar Hero. Enfin, pour votre serviteur, cela évoque surtout des centaines d’heures de vie perdues face au dieu High-score, et des sommes indécentes dilapidées en DLC divers et variés…
Dans ces conditions, tester un rhythm game relève de la gageure. Difficile de faire percevoir l’attrait nouveau d’un (énième) jeu musical aux lecteurs les plus réfractaires, par exemple. Aussi, en lieu et place d’une banale critique de jeu, ce “mégatest” de Rock Band 3 aura l’ambition de faire le point sur un marché qu’on dit en perte de vitesse, de donner une vision d’ensemble de ce genre vidéoludique si particulier qui, on le verra, est arrivé à un moment charnière de son existence… rien que ça, oui !
Pour commencer, quoi de mieux qu’un bref rappel historique ?
Learn to fly
Harmonix, créateur et développeur exclusif de la saga Rock Band, n’en est pas moins connu pour avoir créé la célébrissime franchise concurrente, Guitar Hero ! L’histoire est connue des fans, mais beaucoup moins du grand public.
Le studio Harmonix, se consacrant exclusivement aux jeux à teneur musicale, à l’instar d’un Q? Entertainment par exemple (son nom complet se révèle d’ailleurs être Harmonix Music Systems), a la particularité d’être composé d’un nombre impressionnant de véritables musiciens, appartenant à des groupes dont on retrouvera les morceaux dans la plupart de leurs jeux : Freezepop, Bang Camaro, Count Zero, Tribe, Death of the Cool, The Acro-Brats, The Konks, Anarchy Club, etc. etc.
Après avoir réalisé deux jeux atypiques, très sympathiques mais quasi-anonymes sur PS2 (Frequency en 2001, puis Amplitude en 2003), Harmonix va frapper deux grands coups. Tout d’abord, en réussissant à décrocher un contrat avec le dieu des rhythm games japonais, Konami, désireux d’occidentaliser sa gamme de jeux musicaux Bemani. En découleront alors toute une série de jeux estampillés Karaoke Revolution, au succès commercial plus que mitigé, entre 2003 et 2006. D’autre part, Harmonix réalise en 2004 EyeToy: AntiGrav pour le compte de Sony. Ce jeu d’hoverboard mâtiné de sensations musicales… surfe, si l’on peut dire, sur la vague EyeToy, en plein boom à l’époque.
FreQuency (2001), excellent jeu musical méconnu
L’expérience malheureuse d’Harmonix avec Konami pousse toutefois le studio à creuser l’idée d’une occidentalisation de ces jeux qui cartonnent en arcade au Japon. Influencés par la musique rock de par leurs expériences respectives, les développeurs se penchent rapidement sur la licence GuitarFreaks. Le concept subit quelques modifications, autant pour s’adapter au public occidental que pour éviter le plagiat pur et dur du jeu de Konami : la guitare à boutons, avec un unique médiator faisant office de cordes, est conservée ; mais le nombre de boutons est porté à 5 (contre 3 pour GuitarFreaks). Ce choix s’explique par des partitions qui cherchent à reproduire ce que la guitare joue réellement, riffs et solos inclus, là où GuitarFreaks est beaucoup plus “rythmique” dans son approche. Pour rendre le jeu accessible à tous, quatre niveaux de difficultés sont mis en place : Facile, Moyen, Difficile et Expert, ce dernier étant censé représenter la “véritable” partition tandis que les autres ne sont que des modes intermédiaires.
Contrairement à la majeure partie des jeux Bemani, Harmonix prend le parti d’utiliser de véritables pistes sonores pour reproduire le son de la guitare, en exploitant l’espace disponible sur le support DVD de la PS2. Le jeu se contente de jouer la piste de guitare quand le joueur joue correctement, et de la faire taire lorsqu’il rate des notes : l’illusion marche à merveille, mais ce n’est pas sans complications avec les ayants-droits qui refusent de fournir les masters de leurs pistes à un petit développeur de jeux vidéo. C’est pour cette raison que la plupart des morceaux inclus dans ce premier volet seront des reprises fidèles aux originales ; une pratique qui perdurera, dans une moindre mesure, pour Guitar Hero II et même Rock Band (mais on y reviendra).
Finalement, en partenariat avec RedOctane (à l’origine un accessoiriste pour les Dance Dance Revolution, qui se chargera d’éditer cette première version, mais également de concevoir la guitare vendue avec le jeu), Guitar Hero finit par voir le jour en 2005. Le jeu fait rapidement parler de lui et séduit une large frange du public mélomane, grâce à la présence de 30 célèbres morceaux rock, classiques comme modernes : de Deep Purple à Franz Ferdinand en passant par Queen, Black Sabbath, ZZ Top, Megadeth, Red Hot Chili Peppers… le jeu explose dans les charts contre toutes les attentes, écoulant plus d’1,5 million d’exemplaires tout au long de sa carrière. Ce succès inattendu permet à Harmonix et RedOctane de générer un sacré petit pécule, et accessoirement, de s’attirer l’amitié des plus grands.
Ah, souvenirs…
Everybody wants to rule the world
Le succès du premier épisode permet aux deux firmes de s’assurer le soutien d’un nouvel éditeur, par le dollar alléché : Activision. Un tel poids lourd de l’industrie vidéoludique va permettre à Harmonix de bétonner la playlist de son second volet (40 morceaux sans compter les bonus, et moins de reprises). La “caution” Activision et le succès de GH se chargeront de simplifier les relations avec les ayants-droits…
Guitar Hero II sort fin 2006 sur PlayStation 2 et n’intègre que peu de nouveautés par rapport au premier volet. L’accent est mis sur un mode coopératif à deux joueurs, où l’un joue la guitare principale tandis que l’autre peut jouer (selon le morceau) la basse ou la guitare rythmique. Mais c’est surtout le subtil changement d’orientation de la licence qui fera la différence : avec des morceaux aux solos bien plus techniques et un moteur de gameplay qui ne pardonne aucune approximation, Guitar Hero II relève sensiblement le niveau de difficulté de la série… pour le plus grand plaisir des fans.
Le carton est de nouveau au rendez-vous, et la performance de GH, en termes de ventes, est décuplée. Dans la foulée, une adaptation améliorée de Guitar Hero II sera développée dans la précipitation pour la Xbox 360 et sortira en avril 2007 avec une toute nouvelle guitare “X-plorer”, des graphismes sensiblement revus à la hausse, quelques morceaux bonus et (déjà) l’intégration d’un système de morceaux en téléchargement.
La mythique X-plorer USB pour Xbox 360, inspirée de la non moins célèbre Gibson Explorer
Notons enfin l’arrivée, presque anecdotique, de Guitar Hero: Rocks the 80s, une simple “extension” de GH2 sur PS2 avec une playlist eighties du plus mauvais goût, développée parallèlement à l’adaptation 360 de GH2. Disponible à la mi-2007, seulement quelques mois avant la sortie de GH3, le jeu est plutôt mauvais et ne marque pas les esprits. Il s’agit pourtant du dernier GH développé par Harmonix, et pour cause : pendant ce temps…
Wasted years
…Activision avait déjà mis en place son rouleau-compresseur depuis plus d’un an. Petit retour en arrière. Trop inquiet de laisser sa nouvelle licence-phare entre les mains d’un développeur indépendant, réputé pour son caractère incontrôlable qui plus est, l’éditeur rachète RedOctane dès mai 2006, s’appropriant de fait la licence… en parallèle, Harmonix, toujours sous contrat avec RedOctane, est racheté par Viacom (pour sa branche MTV Games) fin 2006.
Bien que ce fait soit largement méconnu, même parmi les fans les plus fidèles, une partie du développement de GH2 pour PS2, ainsi que le développement de GH2 pour 360 et GH Rocks the 80’s seront donc réalisés par Harmonix pour le compte de RedOctane, alors que le studio était déjà sous la houlette de MTV Games. A l’origine de cette situation rocambolesque, un contrat insatisfait, liant Harmonix et RedOctane… vous suivez toujours ?
Activision, privé d’Harmonix, choisit alors Neversoft (développeur des Tony Hawk) pour poursuivre la saga à succès. C’est donc ce nouveau studio qui sera en charge de Guitar Hero 3: Legends of Rock et qui donnera à la série son orientation arcade actuelle : la difficulté est plus relevée que jamais avec des morceaux extrêmement techniques, mais en contrepartie, le gameplay se voit largement assoupli. La révolution ne passera pas par les nouveaux modes disponibles (GH3 intègre pour la première fois un mode versus en ligne ainsi qu’un mode “Battle” avec des pouvoirs spéciaux), mais bien par l’impressionnante playlist du jeu ainsi que la présence de guest-stars : les guitaristes Tom Morello (Rage Against the Machine, Audioslave…) et Slash (Guns n’Roses, Velvet Revolver…) font ainsi une apparition en tant que boss et personnages jouables. Comme pour enfoncer le clou, Slash apparaît en tête sur la jaquette officielle du jeu…
Ha ha, Harmonix, on vous a bien niqués !
Côté accessoires, RedOctane conçoit une nouvelle guitare, la première sans fil, basée sur le design de la célèbre Les Paul de Gibson.
Sorti en octobre 2007, Guitar Hero 3 demeure à ce jour le plus gros carton de la franchise : disponible sur PS2, PS3, Xbox 360, Wii, PC & Mac, il devient rapidement le jeu le plus vendu de 2007. Activision annoncera même par la suite avoir fait plus d’un milliard de dollars de bénéfices avec les ventes du jeu, soit une première dans l’histoire vidéoludique.
Talkin ‘bout a revolution
De son côté, Harmonix ne chôme pas. MTV Games parvient facilement à trouver un accord d’édition avec le principal concurrent d’Activision, EA, désireux d’entrer sur ce nouveau marché juteux. Le studio parviendra à créer Rock Band, en un temps record, pour une sortie en novembre 2007 aux US, sur Xbox 360 et PlayStation 3.
Rock Band affiche d’emblée ses intentions ; doté d’un design moins coloré et plus sobre que GH3, Rock Band ne propose plus d’endosser le rôle du guitariste, mais de contrôler un groupe entier (guitariste, bassiste, batteur et chanteur) ! Les modes coopératifs à quatre joueurs sont donc largement mis en avant, avec la possibilité d’incarner un groupe en ligne sur le Xbox Live, un multiplicateur commun aux quatre joueurs obligeant à véritablement jouer en équipe, et la possibilité de “sauver” un membre ayant échoué.
En termes musicaux, Rock Band quitte quelque peu le carcan très hard rock des Guitar Hero et ouvre sa porte à des titres plus variés, afin de satisfaire les chanteurs, bassistes et batteurs. C’est là que le savoir-faire de MTV va faire la différence : très vite, la licence Rock Band va mettre l’accent sur des genres moins représentés (rock alternatif, progressif, indépendant, pop-rock, etc.) grâce à ses DLC en nombre impressionnant. Là où les Guitar Hero vont se perdre dans des séries de deux à trois jeux par an, incluant de nombreux spin-offs de piètre qualité, et tous incompatibles entre eux en ce qui concerne les (maigres) DLC disponibles, Rock Band mise tout sur le téléchargement de morceaux additionnels et se voit rapidement doté d’une bibliothèque conséquente.
Le jeu fait rapidement sensation et a très bonne presse — on salue notamment son côté visionnaire face à un GH3 “ringard” qui ne propose que la guitare — mais ne rencontre pas le succès escompté. Face à la force de frappe marketing d’Activision, MTV Games a hélas multiplié les bévues : portage Wii tardif (disponible en juin 2008 aux US) et incomplet, arrivée en Europe trop tardive (en mai 2008), il laisse le champ libre à GH3 qui aura la domination qu’on connaît. En outre, ses accessoires (guitares et batterie en particulier) sont souvent considérés de trop piètre qualité — le jeu est heureusement compatible avec les accessoires de RedOctane conçus pour GH sur la plupart des consoles —, trop chers et fournis en nombre insuffisant, en particulier en Europe.
Une poignée de screenshots auront suffi à rendre GH désespérément ringard
A défaut de réellement concurrencer le “géant” GH3, Rock Band permet à la série de disposer d’une image de marque particulièrement importante et se vend tout de même à 4 millions d’exemplaires. La série est désormais perçue comme le “visionnaire”, tandis que GH essaye, tant bien que mal, de la suivre.
Won’t get fooled again
Rock Band 2 est rapidement mis en chantier pour l’année suivante, avec la ferme intention de corriger les défauts du premier volet. Sorti en septembre 2008 aux US et en novembre de la même année en Europe (sur 360), le jeu ne présente que très peu de différences avec son aîné, si ce n’est une nouvelle playlist, mais intègre tout de même un mode carrière de groupe jouable en ligne, un mode sans échec et de nombreuses améliorations d’agrément. Sa sortie est surtout un prétexte pour faire face à la sortie de Guitar Hero World Tour, premier GH intégrant le principe de groupe initié par RB. Heureusement pour EA, après le carton plein de GH3, World Tour s’avèrera décevant, aussi bien sur le plan qualitatif qu’au niveau des ventes…
Fidèles à leurs principes, MTV Games et Harmonix décident de proposer aux joueurs une base de données de DLC commune à Rock Band et Rock Band 2 ; les joueurs ayant déjà achetés des morceaux pourront ainsi les conserver dans RB2, et les joueurs n’ayant que RB1 peuvent continuer à acheter de nouveaux DLC en ligne. En outre, une fonction permettant d’exporter les morceaux de RB1 sur le disque dur de sa console pour y jouer sur RB2, moyennant une légère contribution financière. L’air de rien, cette politique naissante fait la particularité des Rock Band, mais nous y reviendrons dans la seconde partie de ce mégatest.
Rock Band 2 : simplement le même, en mieux
Rock Band 2 sera également l’occasion d’introduire le Rock Band Network, ou la possibilité pour les groupes indépendants de sortir leurs propres morceaux sur une boutique de DLC dédiée, en concevant eux-mêmes les pistes. Une annonce qu’Activision et Neversoft tenteront de contrer avec l’intégration d’un bien piètre studio musical en MIDI dans les Guitar Hero…
Avec une sortie mal maîtrisée en Europe (MTV ayant décidé de ne même pas sortir les nouveaux accessoires sur le Vieux Continent, laissant le champ libre aux bundles d’Activision), Rock Band est toujours possédé par ses vieux démons. Des ventes très satisfaisantes, mais moindres par rapport au premier épisode contraignent Harmonix à revoir sa stratégie et à lever le pied sur les sorties…
One vision
Pendant ce temps, les Guitar Hero continuaient à sortir à une cadence industrielle, jusqu’à 4 titres par an dont un majeur, chacun réalisant des ventes plus mauvaises que le précédent (le dernier en date, Warriors of Rock, ayant réalisé une contre-performance particulièrement impressionnante dans les charts). De son côté, Harmonix se tenait sage, évitant l’annonce impromptue d’un énième nouveau volet, préférant capitaliser sur son système de DLC.
Ainsi, l’année suivant la sortie de Rock Band 2 marqua la sortie d’un véritable succès : le très médiatisé The Beatles: Rock Band. Totalement à la gloire du groupe, il toucha un public radicalement différent, et ne tire finalement que peu de ses caractéristiques de la saga principale (même le nom Rock Band est mis au second plan ici). Le seul apport du titre à la série sera finalement le principe d’harmonies (trois chanteurs peuvent désormais s’unir pour réaliser les choeurs sur certains morceaux) qu’on retrouvera dans Rock Band 3.
Face aux ventes en déclin de Rock Band 2, Harmonix chercha donc une solution d’agrandir sa base de fans en travaillant à une “version familiale” de Rock Band. Sur ce terrain, Activision accoucha du très raté et très peu vendu Band Hero ; Harmonix ne fit guère mieux avec LEGO: Rock Band (2009). On notera toutefois que ce jeu restera compatible avec le système habituel de DLC de la série, même si de nombreux morceaux y sont indisponibles à cause de leurs paroles ou de leurs thématiques, pour coller au cadre plus “familial” du jeu. Le cul entre deux chaises, le jeu propose d’amusantes guest-stars en forme de LEGO, comme Iggy Pop, David Bowie, Queen ou Blur, mais l’alchimie n’y est pas et les ventes non plus…
Signalons enfin la sortie, mi-2010, de l’alimentaire Green Day: Rock Band. Là encore, la qualité n’est pas au rendez-vous, aucune nouveauté n’est à dénoter, et la volonté de surfer sur le succès de The Beatles: Rock Band (avec un groupe pourtant infiniment moins prestigieux) est perceptible. Malgré la popularité de Green Day outre-Atlantique, il s’agit du plus gros “bide” de la saga Rock Band à ce jour.
Juste quelques hors-d’oeuvres…
Born again
C’est justement dans la démo jouable de Green Day: Rock Band qu’Harmonix s’est subtilement permis, de façon très mystérieuse, d’annoncer l’arrivée de Rock Band 3.
Plus de deux ans après la sortie de Rock Band 2, Harmonix propose un nouveau volet majeur de sa saga dans un contexte global bien morose pour le jeu vidéo musical. Pour marquer son grand retour, le développeur promet rien moins qu’une révolution, en incorporant à la fois le support d’un nouvel instrument (le clavier) ainsi que l’arrivée d’un mode pro permettant de changer la jouabilité arcade historique de la série pour une guitare à 102 frettes et 6 cordes, une batterie à 4 toms et 3 cymbales, ou encore un clavier à 25 touches. Un pari risqué… Quitte ou double ?
Suite du mégatest dans la partie 2 (à venir)…
Merci pour ce dossier 🙂
par contre “102 frettes” ? (17 je pense ? ou 102 touches ? non ? ^^)