Premier jeu du studio Kiro’o Games, Aurion : l’Héritage des Kori-Odan a suscité l’intérêt des joueurs et de la presse lors de sa sortie, en 2016. Développé au Cameroun, cet action-RPG est perçu comme un des seuls représentants du jeu vidéo africain.
On a pu s’entretenir avec Olivier Madiba, le fondateur du studio, qui a accepté de répondre à nos questions.
Café Gaming – Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter ?
Olivier Madiba – Je suis Madiba Olivier, camerounais de 31 ans, fondateur du studio Kiro’o Games. Gros fan d’Action-RPG, de mangas, de livres sur la quête existentielle et de chats.
CG – Comment êtes-vous tombé dans l’univers du jeu vidéo ? Quel a été le déclic pour travailler dans ce milieu?
OM – Le déclic est assez cliché. J’avais (je crois) 14 ans et je finissais Final Fantasy VII pour la sixième fois. De là, j’ai commencé à penser à comment j’aurai réalisé ma propre fin et mon dernier combat. Quelques années plus tard à la fac, je découvre qu’on peut faire un jeu seul via RPG Maker 2003.
CG – Kiro’o Games est donc votre studio basé au Cameroun. Pouvez-vous nous raconter sa création ? Ouvrez-vous encore les portes à de futurs actionnaires (coucou Papy Bolloré) ?
OM – La création du studio mérite un véritable roman (rires). Mais sinon, les moments phares :
- 2003-2005 : Nous créons un studio amateur (Yakan Dominique, Wouaffo Hugues et moi) et on réalise Aurion : l’héritage d’Enzo Koriodan sur RPG Maker 2003.
- 2009-2012: Aurion passe sous RPG Maker XP et j’apprends à créer mon propre moteur de jeu vidéo. On réécrit le scénario et le gameplay pour être plus mature et proche de nos racines africaines.
- 2013: Une grosse odyssée du financement.
- 2014-2016: Nous avons travaillé comme des malades pour livrer Aurion qui est le premier RPG d’African-Fantasy.
- 2017: Maintenant nous sommes en levée de fonds pour notre plan d’expansion. Pour papy Bolloré on va attendre un peu (rires), c’est le grand niveau.
CG – Sorti le 14 avril 2016, Aurion est votre premier jeu (qui a eu également une campagne Kickstarter). Comment gérez-vous son succès critique ? Êtes-vous content des ventes ?
OM – Le succès critique est bon. Même si on réalise que peu de journalistes sont finalement de gros joueurs. Il y en a qui testent le jeu, n’arrivent pas à survivre au premier combat et vont écrire le test. Mais tous les journalistes sérieux nous ont mis un 7/10 en général.
Pour les ventes, nous travaillons actuellement à une meilleure communication plus « niche » pour que le jeu trouve son public. Le lancement n’a pas été bien géré.
CG – Pourquoi avoir choisi de réaliser un action-RPG ? Quelles ont été vos influences ?
OM – Déjà parce que je pense que c’est le seul genre où on peut être le plus créatif (sport et combat sont assez saturés). Aussi parce que je me dis que les joueurs de RPG sont ceux à l’esprit le plus ouvert pour tester des nouveautés. Nous avons été influencés par Final Fantasy, Breath of Fire, Valkyrie Profile, Tales of Destiny (les versions 2D)…
CG – Aux prémices du projet, vous abordiez les “Kiro’o Tales”, pouvez-vous détailler ?
[row]
[column lg= »2″ md= »2″ sm= »2″ xs= »0″ ]
[/column]
[column lg= »8″ md= »8″ sm= »8″ xs= »12″ ]
[icon type= »fa fa-quote-left » fontsize= »15″] Prendre les mythes, traditions, mais aussi les dilemmes géopolitiques de l’Afrique… [icon type= »fa fa-quote-right » fontsize= »15″]
[/column]
[column lg= »2″ md= »2″ sm= »2″ xs= »0″ ]
[/column]
[/row]
OM – Le Kiro’o Tales est un genre ou une collection d’African-Fantasy au même titre que « Donjons et Dragons ». Notre recette consiste à prendre les mythes, traditions, mais aussi les dilemmes géopolitiques de l’Afrique et présenter les leçons universelles qui en découlent dans un jeu ou une autre oeuvre média.
CG – L’univers d’Aurion s’inspire de la mythologie africaine, comment se sont organisés vos recherches sur ce domaine ? Aide d’un historien, ouvrages… ?
OM – Nous avons fouillé dans les travaux de la fondation Ammawouli, lu les oeuvres de Dieudonné Iyodi sur la quête spirituelle du peuple bassa’a. Nous avons aussi pris notre actuel dilemme géopolitique en tant que jeune génération africaine.
CG – Combien de temps cela vous a-t-il pris d’écrire le scénario ? Quelles ont été vos influences sur ce point ?
OM – Le scénario a grandi avec nous. Il y a eu une version qui était quasi-similaire à Naruto. Nous l’avions écrite avant que le manga ne soit fini, une coïncidence… Donc nous avons dû revoir notre histoire pour que les fans ne voient pas une sensation de « déjà vu ».
CG – Ce qui nous a beaucoup surpris, c’est la double lecture que vous proposez avec des thèmes forts comme la politique, le pouvoir, l’éducation, les notions de bien et de mal, et d’autres. Pouvez-vous nous en dire plus ?
OM – L’Afrique a subi toute sorte d’influences. De plus, nous avons la chance d’être « au centre » de la carte générale du monde, ce qui nous offre une vue assez globale des conflits idéologiques. C’est cette richesse de points de vue que nous avons voulus exposer à travers le jeu.
CG – Avec Enzo (le personnage principal), l’une des thématique les plus fortes tout au long du jeu est le passage à l’âge adulte. Vous êtes-vous inspiré de votre propre expérience personnelle ?
OM – Disons surtout la quête de soi et la construction interne du leader. Ce qui est intéressant c’est qu’il s’agit vraiment d’un chemin sans fin. Il y a sans doute beaucoup de nos propres leçons de vie, mais aussi celles que nous avons observées et lues chez des aînés.
CG – Comment s’est passé la rencontre avec Plug In Digital, votre éditeur ? Avez-vous de bonnes relations ?
OM – Nous avons été mis en contact après notre Greenlight via un intermédiaire sur Steam. Nous nous entendons bien, ils ne nous mettaient pas de pression pour la sortie et ils sont assez sympas.
CG – Quelles ont été les plus grandes difficultés au cours du développement ?
OM – La sortie de la première démo publique (février 2015) a été infernale pour les nerfs de tout le monde. La sortie du jeu aussi était très dure, surtout à cause des problèmes de traductions et certains bugs de dernière minute qui mettaient les nerfs de l’équipe à vif.
CG – Lors d’un live sur Gamekult, vous parlez d’un potentiel portage Xbox One. Pourquoi ce choix sur la console de Microsoft ? Pas de version Playstation ou smartphone/tablette ?
OM – Les outils pour indépendants sur Xbox semblent moins compliqués à obtenir que sur Playstation. Aussi, vu que le jeu a été fait avec le framework XNA (une plateforme Microsoft pour les petits développeurs, NDLR), le portage vers un système Microsoft est plus simple.
CG – Les jeux indés commencent à avoir du succès au cinéma, par exemple Firewatch qui va être adapté. Votre jeu intéresse aussi le studio d’animation hollywoodien Good Fear Film ! Comment s’est passée la rencontre avec les producteurs et serez-vous impliqué dans le projet personnellement ?
OM – Nous avons été contactés par eux un peu après la sortie du jeu. Au début, nous avons cru à une arnaque internet. Après tout, notre jeu n’était pas non plus un million seller. Ensuite, quand j’étais au YALI (Young African Leaders Initiative, NDLR), nous avons commencé à échanger et de là nous sommes tombés sur un deal de prospection pour un film plus tard.
CG – Parlons enfin du jeu vidéo africain. Hormis BroForce, qui a connu un véritable succès critique et commercial, d’autres créateurs se lancent-ils dans l’aventure ? Quel bilan en tirez-vous à titre personnel ?
OM – Oui, il y a définitivement un mouvement. Il y a un studio au Sénégal qui produit un jeu de plateforme onirique à surveiller de près. Le Nigéria a le système d’investissement intérieur le plus intéressant sur le sujet, donc de bons studios se mettent en place au fur et à mesure. Au Cameroun il y a deux autres studios professionnels (SDK Game et Noohkema), nous nous soutenons comme on peut parce qu’on veut bâtir une industrie locale sérieuse.
Je pense que sur les 10 prochaines années, nous allons trouver nos marques. Le défi sera de ne pas seulement penser comme un créatif, mais aussi comme un vrai groupe d’hommes d’affaires, qui veulent avoir un gros impact sur leur continent.
CG – Merci beaucoup !
— Entretien réalisé par Maikigeeky
— Relecture et mise en forme par Yoann Ferret
— Pour en savoir plus, visitez le site de Kiro’o Games
— Aurion : l’Héritage des Kori-Odan est en vente sur Steam
Retrouvez nos autres interviews :