Fruit d’une collaboration impromptue entre deux développeurs, Da’karapid est un jeu 100% pensé et conçu au Sénégal. Cette production mobile met en scène les « cars rapides » typiques dakarois.
Retour sur son sa création sous forme de prototype, mis sur pied en trois jours pour les besoins d’un hackaton, sur sa transformation en véritable jeu disponible sur les stores d’Android et iOS, et sur sa recherche de business model — en compagnie de son co-créateur, Julien Herbin.
Café Gaming – Bonjour, pourrais-tu te présenter ?
Julien Herbin – Salut ! Je m’appelle Julien et je suis un des co-développeurs du jeu mobile indépendant Da’karapid. Je suis programmeur dans l’industrie du jeu vidéo depuis 10 ans environ, et je travaille pour un gros éditeur français que tout le monde connaît bien. J’ai contribué à un panel de jeux très différents, du petit RPG sur navigateur web au gros AAA sur consoles dernière génération. Lorsque j’ai le temps, je développe des petits jeux sur mobile. Da’karapid est le premier que j’ai sorti en tant que développeur indépendant. Et j’espère que d’autres suivront…
CG – Comment es-tu tombé dans les jeux vidéo ?
JH – Je suis joueur depuis que j’ai pu approcher une manette chez un de mes cousins, pour la première fois au début des années 90. Mes premiers souvenirs de joueurs sont sur NES avec Punch Out, Duck Hunt et évidemment Mario Bros et Zelda ! Deux ans plus tard, j’ai eu ma première console, la Sega Master System 2. Un peu plus tard, j’ai cassé ma tirelire pour m’offrir la Super Nintendo. C’est la console sur laquelle je garde mes meilleurs souvenirs de jeu, avec le premier Mario Kart, Zelda: A Link to the Past, et Super Mario World. Aujourd’hui, je joue sur tous les supports, mais mon cœur de gamer bat toujours en priorité pour les jeux Nintendo.
En ce qui concerne le développement de jeux, j’ai commencé au début des années 90 sur un ordinateur Amstrad CPC 464 qu’on a donné à mes parents. J’ai appris le langage Basic en recopiant de petits programmes présentés dans le manuel livré avec la machine (c’est dur à croire, mais Internet n’existait pas à l’époque !). Ensuite, je me suis plongé dans du code de jeux livrés avec la machine et je me suis amusé à le modifier un peu. C’est ce qui m’a motivé à faire des études supérieures en informatique, et plus tard à me lancer dans le développement de jeux.
CG – Tu as sorti avec une autre personne le jeu Da’karapid. Peux-tu nous raconter comment s’est passé la rencontre avec ce collègue ?
JH – J’étais en congé sabbatique à Dakar, et je faisais du bénévolat pour une petite ONG qui travaille à la réinsertion d’enfants des rues. J’ai entendu parler d’un concours de développement d’applications mobiles, et je m’y suis présenté pour me positionner comme mentor, afin d’aider les groupes qui voudraient développer des jeux mobiles.
Laurel (Gbenafa, ndlr) est le seul à avoir pitché un jeu, son idée était de mettre le joueur au volant d’un car rapide sénégalais. J’ai trouvé cette idée géniale et lui ai proposé mon aide. Nous avons travaillé d’arrache-pied pendant 3 jours pour livrer un prototype jouable, c’était intense mais j’en garde d’excellents souvenirs ! Suite au concours, j’ai proposé à Laurel de poursuivre le projet et de se fixer comme objectif de sortir le jeu sur les plateformes mobiles. Objectif atteint 6 mois plus tard.
CG – Pourquoi un jeu mobile ?
JH – Nous voulions toucher un maximum de joueurs, et la plateforme mobile est de loin la plus accessible et la plus répandue (surtout en Afrique). Nous avons pris soin de sortir le jeu simultanément sur iOS, Android et Windows Phone, mais certaines plateformes ont des fonctionnalités spécifiques.
Nous n’excluons pas de sortir le jeu sur d’autres plateformes, comme Facebook ou télévisions connectées par exemple — ou même VR, pourquoi pas !
CG – Quel était le but de Da’karapid ? Pourquoi un jeu sur la culture sénégalaise ?
JH – Notre but était tout d’abord de développer un jeu mobile mettant en scène un environnement africain. Les cultures africaines sont largement sous-représentées dans les jeux vidéo, et nous avions envie de faire quelque chose pour changer ça. Vivant tous deux à Dakar, le Sénégal s’est naturellement imposé.
Le choix du car rapide est sans doute moins évident. A mon sens, c’est un symbole marquant du Sénégal car ils sont originaux, souvent très bien décorés et qu’on en croise partout à Dakar. On atterrit à Yoff, on saute dans un taxi et forcément, on en croise plusieurs dizaines sur la route vers notre destination.
CG – Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la phase de développement ?
JH – Ce qui nous a posé le plus de soucis, c’est certainement le support des services spécifiques à chaque plateforme, comme le Game Center pour iOS ou Google Play Games pour Android. La raison principale est que les interfaces de programmation du moteur qu’on utilise sont souvent buggées, mais sont parfois réparées d’une version à l’autre. Nous avons donc dû trouver des astuces pour contourner les limitations pour chacune des plateformes. Ça nous a vraiment pris du temps, on aurait préféré le mettre à profit d’autres fonctionnalités dans le jeu. L’optimisation du jeu pour les mobiles les moins performants nous a aussi pris du temps, mais ça, on s’y attendait !
Sur un plan plus business, nous avons tenté quelques partenariats qui ont tous échoué. Les gens étaient très enthousiastes à l’idée de voir notre jeu sortir, mais nous les avons finalement perdu en cours de route. Ironique pour un jeu de course, n’est-ce pas ?
CG – Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de la réalisation du jeu ?
JH – Le tout début du projet, ces 3 jours de hackathon m’ont beaucoup marqué pour leur intensité, et toutes les belles rencontres. Je me rappelle très bien du lieu, de l’ambiance très studieuse et des gens super sympas. Ça a été épuisant, mais on a passé un superbe moment que je n’oublierai jamais.
Un autre point est que, même après 10 ans dans l’industrie du jeu vidéo, le temps de “polish” du jeu m’a encore surpris. Entre le moment où nous avions toutes les fonctionnalités, et le moment où on a sorti le jeu, il s’est écoulé plusieurs longues semaines pendant lesquelles nous avons tout fignolé. Le problème, c’est que le développement du jeu n’était pas notre activité principale. Malgré ça, nous sommes restés motivés et avons réussi à sortir le jeu, c’est ce qui compte.
Enfin, du fait d’être développeurs indépendants, je retiens la liberté créative totale que nous avons eu sur le projet. Comme les rôles sont très segmentés sur les gros projets dans l’industrie, j’avais jusque là très peu contribué au design des jeux. Sur Da’karapid, Laurel et moi avons pu imaginer, implémenter, tester des fonctionnalités, et finalement faire le choix de les garder ou de les jeter. Nous avons fait quelques erreurs de design dans les premières versions, mais les avons corrigées au fur et à mesure via des mises à jour régulières, pour obtenir au final un très bon petit runner game !
CG – Da’karapid est un jeu gratuit et il n’y a pas d’achat in app. Le jeu vit donc de la publicité. Pour vous, est-ce un succès commercial ?
JH – En réalité, nous sommes très loin de ce qu’on pourrait appeler succès commercial ! La publicité rapporte très peu sur une petite base d’utilisateurs, et encore moins en Afrique. Pour être totalement transparents, nous avons dépensé beaucoup plus dans la promotion de notre jeu que nous n’avons généré de revenus (environ 150 $US au total). Nous venons d’ailleurs d’introduire des achats in app (sur iOS seulement pour le moment) permettant de se débarrasser de la pub et d’acheter des packs de pièces afin de débloquer les cars rapides un peu plus vite. Nous espérons que les joueurs achèteront quelques éléments, afin de nous aider à poursuivre l’aventure.
Mais la rentabilité ne faisait pas vraiment partie des motivations principales qui nous ont poussé à développer ce jeu. Notre défi était avant tout de proposer un jeu mobile sur une thématique africaine avec une réalisation à la hauteur des meilleures applis mobiles. Et si on en juge par les notes que le jeu reçoit sur les différents stores, je pense que le pari est réussi sur ce point !
CG – De cette expérience de développement, de quoi êtes-vous le plus fier?
Je pense que notre plus grande fierté est tout simplement d’avoir réussi à terminer et sortir le jeu sur les trois plus grandes plateformes mobiles, le même jour qui plus est ! La bonne réception du jeu et les bonnes critiques des joueurs sont de belles sources de motivation pour nous. Savoir que nos joueurs ont parcouru pas loin de 500 000 km en cumulé sur l’année 2016 est une grande source de satisfaction.
J’en profite pour remercier tous nos joueurs pour leurs encouragements et leur soutien continu, nous espérons qu’ils passeront encore de très bons moments sur Da’karapid !
CG – Merci !
— Entretien réalisé par Maikigeeky
— Relecture et mise en forme par Yoann Ferret
— Da’karapid est disponible pour iOS, Android et Windows Phone
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